(Note : une version raccourcie de cet article a été publiée dans la section Libre Opinion du Devoir d’aujourd’hui, mardi 8 octobre
https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/821283/libre-opinion-il-y-toujours-roi-quelque-part
En fin de semaine passée se tenait à Montréal un colloque entre les membres de l’ACC (Association des Caricaturistes Canadiens) et ceux de l’AAEC (American Association of Editorial Cartoonists).
Nous sommes ici loin des conventions de grandes corporations (médecins, scientifiques, etc.) qui assument les coûts pour les invités. Dans notre cas, tous les participants paient de leur poche pour leur présence et c’est grâce à une poignée de bénévoles qui se dévouent pour cette forme d’art que le bon déroulement des activités est assuré.
Plaçons-nous dans le contexte. Nous sommes au centre-ville, en compagnie de libres-penseurs, des descendants d’Honoré-Daumier, des êtres sensibles et intelligents, qui savent exprimer une idée populaire de façon simple et terriblement efficace. Et, jour après jour, publication après publication, ces personnages doués se permettent, à grands coups de plumes, de se moquer du roi. Tout le monde trouve ça très drôle et rigole…tout le monde, sauf le roi.
C’est comme ça depuis la nuit des temps pour les caricaturistes, sauf qu’aujourd’hui, dans les hautes sphères du royaume, on trouve que le poste de fou du roi n’est plus vraiment nécessaire. ‘Pourquoi y a-t-il des artistes qui nous exposent flambant nu, loin de nos parures somptueuses. Pourquoi dessinent-ils des faussetés à notre sujet, nous, qui sommes si bons?’ s’interrogent les seigneurs dans leur forteresse.
Et c’est ainsi que:
- le New York Times a cessé de publier ses dessins d’humour qui nous faisaient tant rire.
- Steve Bell a été licencié du Guardian après 40 ans de services
- Rob Rogers a été mis à la porte après plus de 25 ans de collaboration avec la Pittsburg Post- Gazette
- La Presse s’est excusée pour une caricature de Chapleau
- Joel Pett, un gars qui ferait rire un mur tant il est comique a été mis dehors du Herald-Leader après 30 ans de services
- Le Canadien Mike De Adder a goûté aux joies du congédiement
- Et la liste pourrait s’allonger…et s’allonger…et s’allonger
On ne parle pas ici de débutants, on parle de professionnels qui connaissent bien les limites permises et qui sont souvent bardés de prix prestigieux pour la qualité de leur coup de patte. Mais il est évident que ces limites atteignent des proportions effarantes par les temps qui courent. Sur une note plus tragique, quelques autres sont menacés de mort et, dans des régimes autoritaires, il y en a qui sont en prison. Cartoonists Rights International était à Montréal pour en parler.
Durant cette fin de semaine, riche en illustrations, plusieurs invité(e)s nous ont épaté(e)s par leurs conférences sur le monde merveilleux du dessin satirique. On a aussi fait revivre la mémoire de Raoul Barré, Henri-Julien, Aline Cloutier, Albéric Bourgeois, de très grand(e)s précurseurs parmi les caricaturistes du Québec. Bref, c’est dans une convention telle que celle-ci qu’on rend un hommage, parfois posthume, à des créatifs et à des créatives passionné(e)s.
Mais soyons réalistes! De nos jours, l’avènement d’internet a rendu le métier de caricaturiste pratiquement impossible à pratiquer. Il y a toujours un roi quelque part, qui sous l’impulsion d’un doigt de ses gardes royaux, reçoit un courriel lui présentant sa… véritable tronche qu’on a dessinée quelque part dans le monde. Et c’est ainsi que le couperet tombe, jour après jour, semaine après semaine sur des artistes satiriques qui sont en mesure de lire la vérité derrière la façade et qui ont l’insolence de la dessiner.