Normandeau : Le vent dans les toiles
Peintre de plein air, Normandeau est associé à la région de Tremblant, car il a été l’un des piliers de la galerie de la gare du vieux village. Michel a cependant affronté le vent et les intempéries d’un territoire plus vaste et il serait adéquat de parler du peintre de deux vallées, soit la vallée de la Rouge et la vallée de la Diable. En effet, sa palette connaît tous les secrets de la richesse visuelle de ces deux microcosmes des Laurentides. Aucun recoin bucolique des municipalités de Brébeuf, Huberdeau, La Conception, Arundel, Harrington, Mont-Tremblant n’est à l’abri de sa touche enthousiaste.
La richesse des grands espaces de la Rouge, sa lumière unique, les bancs de sable sur les rives de la rivière, le vol des hirondelles et des oiseaux migrateurs, les fermes, les panoramas, tout cela à portée de sa main et loin du tumulte touristique. Michel, pouvant être aussi sauvage qu’il peut être social, se plaît dans cette région comme un achigan dans l’eau.
LÉGENDE : Lac Vézeau / huile sur toile 20X24 po (collection privée)
L’artiste me mentionne que ses pèlerinages lui ont permis de faire le constat que les municipalités anglophones préservent beaucoup mieux leur héritage patrimonial que les villages francophones qui démolissent souvent de belles architectures pour ériger des maisons en carton.
La vallée de la Diable, pour sa part, est plus sauvage. Les dénivellations y sont marquées : le pic Johansson, la Vache Noire, le sommet de Tremblant. L’endroit est idéal pour représenter la rivière du Diable sur un fond de montagnes. Notre explorateur connaît tous les secteurs de son patelin, dont le mystérieux lac Tremblant Nord. Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Maurice Cullen et Holgate qui ont aussi immortalisé les lieux pour de riches clients il y a de nombreuses années.
L’art est bien souvent un geste de révolte, que ce soit contre la pensée unique, le décès d’un proche ou la cassure d’un lien familial. « Mon cœur y’é patché, plein d’trous » chantait Jerry Boulet. Les blessures antérieures ont laissé leurs traces sur le cœur du Michel. Souffrant de surdité unilatérale, il aura passé 14 heures sur une table d’opération à l’âge de 7ans. Suite à sa chirurgie, pour faire descendre sa température qui frôlait les 105 degrés, on le plongea dans un bain de glace. Sa convalescence dura des mois avant qu’il ne retrouve son équilibre. C’est à cet âge qu’il commença à dessiner et à peindre. Durant ces activités, il oubliait complètement sa douleur. L’art aura été sa meilleure thérapie et cet événement a été un élément déclencheur du parcours de l’artiste. C’est aussi ce qui l’incita plus tard à donner des ateliers créatifs à des handicapés intellectuels et à des autistes, une expérience qui l’aura fait grandir.
Est-ce pour fuir ses émotions profondes que Michel peint frénétiquement depuis tant d’années?
Sûrement, car le désir d’engourdir son mal a toujours été associé au plaisir de trouver refuge dans l’art.
Adolescent, le sujet de notre article s’est tourné vers les sports. Il s’entraîne au Club de boxe olympique sur Avenue du Parc et gagne ses 30 premiers combats pour être couronné champion interécole de Montréal. Il perd cependant son 31e combat et arrête tout à ce moment-là. La mort sur le ring de Cleveland Denny aux mains de Gaétan Hart le perturbe. Il se tourne alors vers le vélo et devient un compétiteur de haut niveau. Il abandonne cette pratique à l’âge de 27 ans. C’est ce point tournant qui lui fait choisir la carrière de peintre.
Plus tard dans son évolution, la mort de son père et de son meilleur ami, le portraitiste RichardVaskelis a grandement affecté émotivement notre costaud personnage. Elles ont, du même coup, attisé son désir de mettre tout ce qu’il a dans les tripes sur une toile.
LÉGENDE :Chemin des Mésanges / huile sur toile 12X24 po (La Conception)
En 2003, Michel se rend à Charlevoix pour emprunter la route des grands noms. Comme on le dit souvent, le hasard n’existe pas. Il gîte à l’Auberge de Nos Aïeux pendant qu’à son insu, les artistes du « French Canadian Connection » sont présents. Des peintres américains et canadiens réputés s’y retrouvent à chaque année dont Don Stone, Umberto Bruni et tutti quanti. Ces personnalités invitent notre gaillard à les rejoindre pour une excursion en plein air. Faisant face à son chevalet, Normandeau frétille sur son 10X12 pouces depuis une heure lorsqu’un type, le plus nerveux des bonhommes qu’il n’ait jamais croisé de sa vie, vient lui parler et demande la permission de peindre à ses côtés. Ce bougre sort un 30X36pouces en 20 minutes à peine pendant que Michel lèche encore sa petite toile. Notre ami est abasourdi devant la qualité de l’œuvre de nul autre que Charles Movali. Il est sidéré par ce qu’il voit et se souvient de ce moment comme si c’était hier. « Il n’utilisait que 5 pigments. C’était un paquet de nerfs ambulant, mais quel chef-d’œuvre il a pondu. J’étais sans voix! ».
J’ai rencontré Michel il y a 30 ans. Il a enrichi et simplifié sa palette au fil du temps. Nous devrions dire de ses palettes, car celles-ci doivent être adaptées et modifiées pour chacune des saisons que nous connaissons. Les sujets sont maîtrisés, le jeu des lumières et des volumes s’est raffiné, les atmosphères subtiles sont bien rendues, bref, nous parlons ici d’un professionnel ayant mûri comme un bon vin.
Il s’en tient aux paysages et peint surtout en direct, sur les lieux. Il opte pour la simplicité dans ses cadrages qui incluent souvent des bâtiments. Il mentionne qu’il est difficile d’obtenir les valeurs exactes, car rien n’est stable dans la nature. Tout bouge et change constamment. Il faut donc fixer dans sa mémoire le moment de la journée que l’on veut exposer. Ce qui a fait sa marque de commerce, son côté légendaire si on peut dire, ce sont sûrement ses peintures sur les lieux en plein hiver, au sommet de Tremblant par des températures si froides que même les habitants de la faune restent dans leur terrier.
Notre joyeux luron inclut rarement des humains dans ses toiles. « Lorsque je regarde le travail des portraitistes, je considère que ce domaine est une spécialité. Il en va de même pour les personnages. Tant qu’à mettre des éléments qui ne sont pas à la hauteur de ce qui se fait actuellement, je préfère me concentrer dans le paysage. Je n’aime pas faire poser un modèle durant 1 heure ou plus et ne pas être satisfait de ma réalisation. Certains portraitistes, comme Denis Jacques, ont passé leur vie entière à dessiner des visages. Personnellement, je n’ai pas de plaisir à en faire et je laisse cette spécialité à ceux et celles qui y consacrent toute leur énergie » nous explique notre interlocuteur.
Durant 5 ans, Michel invite des québécois à la Rencontre des Peintres de Plein air, un événement qu’il coordonne à Tremblant. On y voit passer de grosses pointures : Helmut Langeder, Gordon Harrison, Miguel Forest, Sue Quarles, Reynald Murphy pour ne nommer que ceux et celles-là.
Il est également invité à performer durant la traversée de la Gaspésie, une excursion pour les skieurs de randonnée. Pendant que les sportifs se déplacent, notre compère de son côté, crée.
Les vents sont furieux et les rafales atteignent 80 km à l’heure. Qu’importe, notre drille est dans son élément, car le souffle des bourrasques fait partie de sa vie. Il en a vu d’autres lorsqu’il était au sommet de Tremblant au cœur de l’hiver. En plein mois de février, se servant de sa toile comme d’un bouclier, aux abords du majestueux fleuve, il se protège et accouche d’un tableau de 30X40 pouces qu’il laissera aux organisateurs.
Pandémie oblige, le fait de ne pas avoir à gérer la galerie à l’été 2020 lui aura permis de passer la saison à bosser sur le motif. En effet, le virus aura changé bien des choses pour de nombreuses personnes et notre invité n’y échappe pas « Avant, je faisais de la garde à la galerie Tremblant une grande partie de l’été. Avec la Covid, j’ai arrêté cela, après plus de 30 ans. J’ai alors réalisé que je peignais très peu en plein air durant l’été. J’opérais au commerce, mais il est plus difficile de se concentrer lorsqu’on est continuellement sollicité par des clients.tes. Cela a donc été une bonne affaire, car je n’ai jamais autant produit de ma vie. Je recherche activement des cimaises dans une galerie reconnue pour y présenter l’exposition qui sera la plus imposante de toute ma carrière ».
Michel a plusieurs centaines d’œuvres dans les collections privées et je ne manquerai pas sa prochaine expo, car il est au sommet de son art. Pendant que vous lisez ceci, Il est aussi sur le sommet d’une montagne à peindre sa bonne étoile. Et, comme on dit des explorateurs du plein air, il a le vent dans les toiles.
LÉGENDE : Normandeau à l’oeuvre