Une BD de grande qualité de JS Bérubé « La tempête ».

Ce que j’aime des bandes dessinées, par opposition au cinéma, c’est qu’on peut les savourer tranquillement, page par page, case par case, phylactère par phylactère et les refermer lorsque nous sommes rassasiés. Le film, pour sa part, t’impose son rythme tandis que le livre suit ton désir de découverte. On peut se garder une cinquantaine de pages à bouquiner le lendemain pour profiter d’un autre moment divertissant avant d’aller au lit.

La première œuvre de JS Bérubé qui m’est passée entre les pattes, « Pourquoi je ne suis pas devenu moine » est un véritable petit trésor. Chacun a ses goûts, mais quand j’ai plongé dans cette autobiographie, je suis tombé sous le charme des dessins en noir et blanc, du rythme de l’histoire et du dépaysement total que l’auteur me présentait. Il est difficile pour moi, qui jouais sûrement au hockey à l’époque, d’imaginer qu’un gars pouvait passer ses soirées à Montréal dans les temples bouddhistes dans le but de devenir moine. Bref, après avoir dégusté cette BD empruntée à la bibliothèque, je suis allé à ma librairie préférée (Monet, pour ne pas la nommer) pour m’en procurer un exemplaire que j’ai offert à une amie qui avait suivi à peu près le même parcours que Bérubé. Tout comme moi, elle s’est régalée de ce roman graphique et a reconnu dans les dessins plusieurs lieux qu’elle avait elle-même visités en Asie alors qu’elle y vivait, elle aussi, une aventure hors des sentiers battus. Autre truc qui m’a véritablement plu, c’est la mise en page de l’éditeur Futuropolis. Il est toujours agréable de constater que certains artisans du métier ont le goût du travail bien fait… couverture cartonnée, logo superbe, sobriété dans la présentation, lecture facile. On est loin des éditeurs qui pensent nous en offrir plus en nous garrochant des fontes hétérogènes aux couleurs criardes qui dansent le ballet.

Et je veux maintenant parler de cette seconde BD de Bérubé que je viens de terminer. En fait, je vous avouerai qu’il m’arrive régulièrement de rédiger, pour mon plaisir personnel, des critiques de performances, pièces de théâtre, spectacles musicaux auxquels j’ai assisté. La majorité du temps, lorsque je m’adonne à cette activité, je rédige un brûlot vitriolique, frustré que je suis d’avoir été témoin de productions qui m’apparaissent mal ficelées (et en pensant innocemment que je ferai mieux alors que, très souvent, je ne connais pas grand-chose au type d’art présenté.). C’est toujours plus fort que moi… voir une manifestation culturelle et ne pas écrire, c’est contre ma nature. Bref, lorsque mes critiques sont acerbes, je les garde secrètes, ne voulant pas affecter négativement les auteurs-trices envers lesquels j’ai beaucoup de respect. Mais venons-en à ce Bérubé, car dans son cas, j’ai de bons mots à dire.

Quel conteur que ce type-là ! Dans sa BD « La tempête », le lecteur/lectrice s’insère dans une maisonnée dysfonctionnelle comme on en connaît tant. Bérubé dessine super bien, il sait créer une ambiance et nous montrer ce qu’est, vue de l’intérieur, une famille dont la marque de commerce n’est pas la communication empathique. Son personnage principal, qui se nomme JS (en fait c’est l’auteur lui-même), fait du karaté, un type de karaté super violent, dans le village de Rimouski. Il travaille ainsi sur lui-même pour se forger une personnalité à la hauteur de ce qu’il est vraiment comme humain et ce, malgré le manque d’encouragement que son entourage lui a malencontreusement transmis.

Il va au bout de lui-même et c’est vraiment touchant de voir comment quelqu’un qui a manqué d’appui dans le chemin qu’il s’est tracé réussit à s’en sortir. On partage ses doutes, ses inquiétudes et son désir de se créer une identité qu’il doit fabriquer à partir de ses désirs, et ce, malgré les embûches. Ajoutez-y les épices d’une petite ville comme Rimouski, les valeurs traditionnelles d’une société cléricale et une grande connaissance de nos paysages québécois et vous obtenez un excellent ouvrage graphique.

J’adore la poésie de ses illustrations en noir et blanc, le soin méticuleux qu’il apporte aux compositions de chacune de ses cases et aussi, malgré la charge émotive très lourde du récit, le côté authentiquement humain du scénario. Je n’ose même pas imaginer le courage qu’il fallait à cet auteur pour publier un tel livre qui le met à nu devant ses proches. Bravo JS Bérubé pour les longues heures que vous avez passées à scénariser, à crayonner et à encrer ces planches pleines de rêveries, de douceur, de violence psychologique qui sont véhiculées à travers votre personnage. Cette généreuse production de plus de 200 pages nous en apprend plus sur l’excellence de vos mains qui allient la dureté de l’acier à la sensibilité de l’aquarelle.

Je ne suis pas un cinéphile, du genre à aller voir Dune, la projection de Denis Villeneuve… je préfère la surprise de découvrir un Bérubé au hasard d’un rayon de bibliothèque. C’est le genre d’artiste plus discret, moins imposant, mais qui a tout de même un petit univers fascinant à raconter. On est loin du bruit du cliquetis des deniers qui entrent dans la caisse, il y a moins d’effets spéciaux et de voyages aux 4 coins de la planète pour filmer des scènes. En fait, il n’y a qu’une scène, le voyage intérieur d’un homme qui a donné tout ce qu’il avait dans les tripes pour mener une vie qui a un sens à ses yeux… et ce, à travers la magnifique prose du 9è art qu’est la BD.

 

 

 

 

 

 

 

Panier

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