Michel Lajeunesse Magicien de souche. Magazin’Art été 2017

Michel Lajeunesse, magicien de souche

L’article que vous tenez entre les mains, bien que court, a pris du temps à rédiger. Pourquoi ? Parce que l’être que je rencontre tient à laisser une empreinte qui lui plaît tel une plante qui veut être photographiée en période de floraison. C’est le seul interviewé qui, à date, m’a demandé une relecture. Je pèserai donc chaque phase, que dis-je? chaque mot. Je veux, tout comme lui, que le texte soit à la hauteur de son talent, que cette page soit magique et qu’en passant au travers d’elle, tout comme le miroir d’Alice, on découvre un monde fabuleux de l’autre côté.

Gardien_de_la_foret_MichelLajeunesse
Gardien de la forêt

La nourriture spirituelle de Michel Lajeunesse, c’est la nature, les animaux, la forêt. Son père était un artiste également et il l’a initié au dessin plutôt qu’au hockey dès son jeune âge, le prédestinant ainsi à son futur emploi. Le talent est donc héréditaire même si, par la suite, le fiston a fréquenté l’école des Beaux-Arts.

Une fois adulte, au cours de sa première vie, notre homme tenait un commerce. Dans le but de nourrir sa famille, il besogne dans le lettrage, la calligraphie, le graphisme et l’illustration. Il introduit au Québec les enseignes de bois enjolivées de feuilles d’or. Dans cette discipline, il gagne des prix internationaux, fait la une de magazines américains et il est l’objet de reportages ainsi que d’émissions télévisées. C’est à cette période qu’il apprend le maniement des gouges, les propriétés de la matière ligneuse et mille et une techniques du métier qui lui seront essentielles plus tard. «On ne s’improvise pas artiste, on forge son art»

Ses plus grandes influences proviennent de l’époque de Alphonse Mucha durant laquelle l’esthétique des lignes ainsi que l’élégance des rythmes et des couleurs régnaient. C’était le mouvement de l’Art Nouveau (1890-1914). Parmi les contemporains, Lajeunesse affectionne, entre autres, l’artiste multidisciplinaire Hubbell qui construit des structures organiques, un peu à la manière de Gaudi.

En 2000, notre talentueux résident de l’Estrie plaque tout l’aspect commercial et déménage dans le nord pour se consacrer exclusivement à sa production personnelle. Il se donne des défis techniques beaucoup plus grands qu’avant. À chacune de ses entreprises, il rencontre un moment de doute, se questionnant à savoir s’il surmontera les difficultés pour finaliser le tout. Le type est discret, il s’affiche rarement et n’hésite jamais à se compliquer l’existence pour accoucher d’une œuvre. Il passe peu de temps à la gestion préférant consacrer les minutes qui s’égrènent pour incarner ses visions, ses fantaisies et ses rêves qu’il partage avec autrui. « Une œuvre de commande n’a pas la même dynamique que de trouver une pièce et d’en sortir un sujet que la nature t’a inspiré. »

Origine_MichelLajeunesse
Origine par Michel Lajeunesse

Récemment, un inconnu a mis en circulation sur les réseaux sociaux, à son insu, des photos de ses sculptures. À ce jour, elles ont obtenu plus de 6 millions de visionnements et 1500 commentaires que Michel n’a pas pris le temps de regarder, laissant plutôt un de ses proches s’occuper de cette tâche. La business n’est pas sa priorité.

Notre passionné a toujours été amoureux du bois. Il affiche sa préférence pour le merisier et le cerisier bien qu’il ait aussi touché aux cèdres, aux érables, aux chênes et à tant d’autres. Leur beauté, leur odeur, leurs couleurs et textures le fascinent.

Chaque végétal a ses caprices, ses cicatrices et son vécu. Notre personnage affectionne particulièrement les sections d’arbres que l’on jetterait au feu, celles qui ont des nœuds, des renflements, des bosses ou des malformations. Il puise l’essence de son inspiration dans les racines centenaires abandonnées sur les rives, ce que le commun des mortels appelle du bois mort. « Le bois, c’est la nature qui me le fournit. Pas question de couper un arbre. Jamais! »

Notre phénomène a un don, soit celui de parler le même langage que ces troncs meurtris et tordus. Il peut lire les histoires dans les nervures des arbres blessés et voir toute la beauté du monde à travers l’écorce fissurée. Il sait naviguer au cœur des méandres, dans les vaisseaux de branches coupées, portés par des courants secrets que la sève génère. Il trouve la vie sous la croûte séchée et fait jaillir des chefs-d’œuvre dans des souches blanchies et cuites par le soleil. « Les morceaux de bois que je trouve, même s’ils sont décédés, ils ont encore de la vie. Ils ont de quoi à raconter. L’idée est d’aller chercher une seconde vie. C’est la joie, que celle de voir une pièce qui aurait pu aller au feu mais qui va finir ses jours sur une tablette de foyer. »

Le chercheur débute son aventure en collectant des chicots qu’il trouve sur le rivage des lacs dans des coins perdus des Hautes-Laurentides. Tel un pèlerinage, ses excursions inestimables sont un moment privilégié pour effectuer un voyage intérieur. À chacun sa mission et notre gaillard a trouvé la sienne. Lors de ces moments chéris, il se plait à penser qu’aucun artiste n’égalera jamais ce que le Créateur nous offre comme beauté.

Sur la grève, Il voit des pièces uniques dissimulant des dryades. Sa fantaisie, sa patience et son brin de folie font en sorte qu’il retrouve instantanément son âme d’enfant. Il entend sur la berge des génies, des animaux mythiques, gobelins, sirènes et autres déités. Emprisonnées quelque part, ces beautés chantent.

Il ramasse les souches qui pourront demeurer des années dans l’atelier avant qu’elles ne se révèlent à lui. Le syndrome de la page blanche existe chez le sculpteur. L’inspiration ne se commande pas en claquant des doigts. Chaque débris est unique, irremplaçable. Un trésor dont il devra déverrouiller la serrure sans tout briser. Il est conscient qu’il ne peut rater son coup car il lui sera impossible de réveiller autrement l’esprit qui y dort. « Tu ne peux jamais pondre deux œuvres identiques, car le bois ramassé est différent. Il n’y a pas deux morceaux pareils. Bref, si tu trouves que tu as fait un boulot extraordinaire selon ton appréciation, il te sera impossible d’en refaire une copie. »

Forger une pièce admirable demande de l’effort, de la concentration, du temps, du talent et une grande sensibilité. Pas étonnant que ce ne soit pas donné à tous. Michel Lajeunesse met tout ce qu’il a dans les tripes dans chacun de ses ouvrages. L’humain étant paresseux de nature, les créatifs qui ne se contentent pas de répéter les mêmes scènes, ceux et celles qui recommencent chaque fois la tâche ardue de faire des études préalables et de la recherche ne sont pas légions. « Tout est design dans une œuvre. Si c’est élégant à l’œil et qu’en voyant la pièce on dit WOW, alors c’est gagné. »

Notre sujet n’ajoute aucun pigment coloré. Il opte plutôt pour l’huile ou la cire d’abeille pour mieux ressortir les teintes naturelles. Cette douce approche incite le grain à parler et invite les lignes à valser. Pour le plaisir des sens, on peut assister au spectacle à la galerie du Petit Hameau au mont Tremblant. Faites vite, les pic-bois ont pratiquement réservé tous les billets.

Saumons_MichelLajeunesse
Saumons

https://www.google.ca/search?q=michel+lajeunesse&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwjNir751O_VAhUJWCYKHeJ4CN8Q_AUICigB&biw=1280&bih=603

Panier

Pin It on Pinterest

Retour en haut