Luigi Serafini…peintre surréaliste, poète, sculpteur et auteur du Codex Seraphianus

 Rencontre avec Luigi Serafini (article publié dans le Magazin’Art du printemps 2015).

Il est midi. Par la fenêtre de mon salon, je constate que le soleil du printemps caresse les aiguilles d’épinette et les branches des arbres dénudés. L’occasion est trop belle! Cette journée radieuse m’invite de ses bras ouverts à effectuer mon incursion hebdomadaire à Montréal. Et pas pour n’importe quelle raison. En effet, un individu tout à fait exceptionnel nommé Luigi Serafini est en ville. C’est l’auteur du Codex Seraphinianus, un livre illustré surréaliste produit par un esprit hors norme. L’artiste tiendra sa lecture à 14h, alors sans plus tarder, je dois partir à sa rencontre.

Comme il est nourrissant de constater qu’il existe parmi les artistes visuels des fous qui s’abandonnent à leur plaisir de créer. Des êtres qui sont à nos âmes ce que nos poumons sont à nos corps, des sources d’inspiration. Ces explorateurs de l’imaginaire créent des univers où personne n’est encore passé. Sur les sentiers qu’ils défrichent, il n’y a qu’eux, nulle trace de marchand à l’horizon. Serafini est de cette race d’innovateurs. Il faut un pionnier pour pondre une encyclopédie de 400 pages dans une langue qui n’existe pas, les textes baignant dans un océan visuel immense. Tout simplement sublime!

Sur le chemin de grisaille reliant la campagne à la ville, je navigue maintenant dans un tas de ferraille sur une route de pétrole où tout est mort, même le chant des oiseaux. La folie prend soudain un autre sens, bien réel celui-là. Je prends mon magnétophone d’une main et j’enregistre mes idées pour l’entrevue. C’est quand même plus gai que de voir l’avenir devant soi comme dans une boule de cristal. J’arrive enfin à Montréal et je constate avec plaisir qu’elle a encore une âme cette cité.

Me voici au coin de Papineau et Mont-Royal, devant la porte où se tiendra la conférence. Je constate avec étonnement qu’elle est annulée mais j’apprends du même coup qu’il y aura une soirée d’improvisation ainsi qu’une soirée cabaret sur la thématique des œuvres de Serafini le lendemain et le surlendemain. Yeahhh, le plaisir du suspense pourra durer.

Dans le but d’assister aux 2  représentations prévues, je dois acheter mes billets dans une librairie de la rue Mont-Royal. Première journée de printemps oblige, je me retrouve sur cette artère au cœur d’une fourmilière. Ma voiture est une tortue entourée de visages qui bloquent tous les pans du ciel. On dirait que j’ai abouti au Festival des chiens de trottoir tant il y en a ici. Des petits, des gros, des laids, des beaux.

Je m’engouffre dans la librairie. Le monde de Luigi Serafini est bel et bien présent ici. De nombreuses affiches sont accrochées à l’intérieur mais la plus impressionnante et la plus grande occupe la vitrine principale du commerce. Je l’admire longuement car elle est superbe. Je remarque finalement les logos des commanditaires dans le bas de l’affiche et j’y vois celui du Cirque du soleil. Je me dis en moi-même que ça y est, que Luigi Serafini doit avoir quitté le milieu ‘underground’ pour jouer dans les ligues majeures.

Je sors et me fraie un chemin à travers le grouillant courant de pattes de ces corps qui vont dans tous les sens. À la recherche d’un oasis, j’entre dans le plus proche café. C’est encore Luigi mur à mur et même pas de place pour s’asseoir. En mon for intérieur, je me dis que lorsque le public découvre un artiste vraiment intéressant il se produit le même phénomène que lorsque les membres d’un cercle de naturalistes découvrent un champignon ou un oiseau rare. On fait circuler le message et cela devient  une occasion en or pour tout un chacun de quitter sa demeure pour aller vénérer quelqu’un ou quelque chose. Mais présentement, j’étouffe, je dois fuir, je dois respirer et attendre demain pour la suite de l’histoire. Avant de redémarrer mon moteur, je prends quand même le temps d’immortaliser dans mon cahier à croquis quelque tronches à la sauvette dans cette foule bigarrée.

Dimanche de Pâques 19h30. Je me retrouve dans une foule majoritairement composée d’étudiants qui entrent au Lion d’Or. Comme dans un conte de mille et unes nuits, je m’assois dans cette salle toute en courbes, en arabesques et en velours Un trio de musiciens envoûte la place d’un son dynamique et feutré. La ligue d’improvisation de Montréal (LIM) ouvre le spectacle. Moi qui n’ait jamais particulièrement apprécié ce type de divertissement, me retrouve à rire comme un maboul au premier numéro. Il y a de quoi s’esclaffer quand on voit des comédiens tenter de décrire des images indescriptibles. Un véritable plaisir partagé entre les artistes et le public. L’osmose se réalise. Et le maître de cérémonie varie judicieusement les thèmes. On assistera à l’accouchement de la mère de Serafini en 1949 à Rome devant le personnel médical estomaqué de voir un marteau sortir avant le bébé. On verra plus tard notre héros se promener entouré d’animaux bizarres et d’objets qui balancent leurs bras comme des hélices de navires qui volent dans de magnifiques fresques. Les acteurs gesticulent pendant qu’ils baragouinent un langage incompréhensible telle une symphonie poétique. On retrouvera aussi le jeune prodige au bureau du directeur d’école car son professeur de 2ème année hallucine devant son charabia de textes et d’images, bref, on s’amuse comme des malades tout au long de la soirée.

À l’entracte je vais à la rencontre de l’auteur qui est assis dans la première rangée. Un millième de seconde me suffit pour voir l’intelligence dans son visage. On se donne rendez-vous dans un café le lendemain, histoire de pondre ce que vous avez présentement sous les yeux. Comme cet article doit être concis, j’achèverai mes descriptions du spectacle ici. Mis à part quelques numéros hors contexte, ce dont les comédiens n’ont pas à rougir considérant les thèmes éclatés, la réussite est totale. Je suis abasourdi. J’ai une pensée pour les foulosophes François Gourd et les membres de son équipe. Dans notre époque de magouille et d’inculture, il faut beaucoup de charisme pour organiser de si beaux événements.

Lundi le 1er avril, je suis un poisson dans un café orné de 2 têtes de rhinocéros. Serafini arrive, l’entrevue aura lieu. Luigi est architecte de formation mais il est un artiste de profession. Il mentionne avoir toujours griffonné et dessiné. Depuis sa naissance, la feuille blanche est l’une de ses distractions favorites. Aujourd’hui, il se définit comme un poète, une fonction que plusieurs jugent inutile mais qui, à ses yeux, a un rôle essentiel. Ce sont d’ailleurs fréquemment des jeux de mots et des calembours qui sont la source de ses œuvres d’arts. Il a régulièrement des visions très tôt le matin mais, pour être franc, tout ce qui l’entoure l’inspire.

Il est polyvalent car il sculpte la pierre, moule le plastique, coule des bronzes, manie l’huile, écrit des nouvelles et s‘éclate dans de nombreux domaines. Il a conçu de nombreuses installations dont plusieurs se retrouvent dans les lieux publics en Italie. Un poisson qui avale la tête d’un homme est localisé à l’entrée du métro à Naples. Une autre est située exactement sur la frontière entre l’Italie et la Suisse et elle représente une balançoire oscillant entre les 2 pays, à la manière d’une valse-hésitation. Ses huiles et ses bronzes s’inscrivent dans sa démarche surréaliste et font partie de nombreuses collections publiques et privées. Il a récemment réalisé une exposition ontologique (mot qu’il préfère à celui d’anthologique) au Pavillon des Arts Contemporains du musée de Milan. En fait, la liste des endroits où on l’a présenté est longue, résumons en mentionnant la Galerie nationale d’Art Moderne de Rome et la ‘Fondazione Mudima’ des arts contemporains de Milan. Il est tellement doué et polyvalent qu’il inspire beaucoup de gens. Une dizaine d’individus de grande réputation ont collaboré avec lui sur divers projets. Notons le plus célèbre d’entre eux, Philippe Decouflé, le metteur mise en scène des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Ce dernier a imaginé une chorégraphie mêlant la danse et le chant en se basant sur le Codex Seraphinianus.

Luigi S. estime que c’est un très grand privilège d’être un poète ou un artiste. Il a longtemps refusé de se considérer comme tel mais le long chemin qu’il a parcouru lui a éventuellement fait accepter cet état de fait. Avec tout le respect qu’il a pour la profession, il ne veut pas s’en servir pour être adulé mais bien pour repousser ses limites en matière d’innovation. Et ce n’est pas le marché mondial de l’art qui lui dictera quoi faire.

Je termine mon article ici, pleinement conscient que j’ai dépassé de plusieurs longueurs l’espace que l’éditeur m’allouait. Les photos accompagnant le texte complèteront donc cette présentation. Personnellement, je dois partir car j’ai un rendez-vous au Rialto pour assister au cabaret en l’honneur de Serafini. Une chose est sûre. Ça va être fou.

Robert Lafontaine

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Document PDF de l’article Luigi Serafini

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