Article Magazin’Art : Jean-Yves Côté, l’origamiste du métal

Jean-Yves Côté

L’origamiste du métal

La première fois où j’ai vu les pièces d’une sculptrice qui faisait du grand format, c’était au sommet d’une montagne, à Sutton il y a une quinzaine d’années. Je rendais alors visite à une amie comédienne et circassienne, feue France Chevrette, qui éparpillait d’immenses sculptures dans la forêt. Mon étonnement se mêlait au mystère de savoir ce qui pouvait motiver quelqu’un à inventer de telles constructions.

Quelques années plus tard dans un rang des Laurentides, j’ai eu ce même questionnement. Dispersés çà et là dans la nature, loin du regard des curieux, les imposants assemblages de fer, de miroirs et de ciment de feu Yves Gélinas m’ébahissaient.

Ces colossales pièces enfantées de leurs mains me semblaient s’adresser à un public d’extra-terrestres tellement elles me paraissaient étranges. Se pouvait-il qu’elles soient là pour le simple plaisir de s’amuser?

J’ai compris avec le temps que ces mégas-sculptures ont leur raison d’être. Elles ont leur propre code de communication, une grammaire visuelle très particulière. Par le côté sibyllin de leur langage, les individus qui les créent sont des communicateurs singuliers. On entend parfois dire que les artistes font le lien entre les forces cosmiques et terrestres. Dans leur cas, ce pourrait bien être vrai. Enfin, c’est une interprétation qui me convient, car comment mon côté rationnel pourrait-il expliquer l’énergie et la belle folie que ces individus hypersensibles déploient pour accoucher de résonateurs aussi bizarres?

Aussitôt que j’ai vu les photos des pièces de l’homme que nous présentons aujourd’hui, Jean-Yves Côté, j’ai compris qu’elles conversaient dans une langue que j’avais déjà entendue, celle que je viens tout juste de décrire.

LÉGENDE : L’ÉCHANGE – 1991

Matériaux; Aluminium et acrylique

Dimensions; 34 pieds hauteur 8 pieds x 8 pieds

Note; Ville de Savigny le Temple, France – Érigée en 1991 lors d’un symposium, l’œuvre fait 11 mètres de haut.  Elle fait maintenant partie de la Place des droits de l’homme.

C’est un dialecte d’une telle élégance et d’une telle beauté quand on prend la peine de l’écouter. Des caractères aux formes équilibrées, des personnages envoûtants, des corps énigmatiques qui épandent un nouvel arôme. Ces œuvres s’adressent aux terriens avides de découvertes. Elles interpellent les oiseaux et les fleurs de métal qui vivent et poussent quelque part sur des planètes inconnues dans le but de les conforter et de les saluer. Pour le commun des mortels, il peut être difficile d’apprécier à leur juste valeur de tels assemblages qui n’ont rien d’organique mais qui sont plutôt dans la lignée des futuristes. Pourtant, ceux et celles qui savent regarder y constatent l’harmonie, le rythme et le mouvement qui confèrent une grande sensibilité au tout

Et me voilà aujourd’hui privilégié, car Odette du Magazin’Art me permet d’aller rencontrer l’architecte de ces ouvrages atypiques.

Ste-Agathe, Saint-Adolphe d’Howard, Morin-Heights, c’est au son de la pluie qui tombe sur le capot que ma route se dessine, sinueuse, sous un ciel gris d’aquarelle. C’est l’automne tardif, et mon regard se porte sur nos majestueux lacs qui se reposent au pied des vieilles montagnes aux couleurs éteintes. Dans un dernier éclat de vie, quelques branches jaunes pétillent encore, découpées sur un fond sombre vert épinette. Les deux mains sur le volant, contemplant cette joliesse qui se reflète dans les miroirs d’eau de l’asphalte noir, j’en viens à oublier le dur labeur qu’ont eu nos ancêtres à défricher cette terre austère.

Et voilà qu’au fond d’une longue entrée tranquille, dans le bois, surgissent les créatures d’inox géantes. Des explosions de métal, des jaillissements de formes, des genèses tridimensionnelles toutes en subtilité, en force et en douceur et dont la parlure n’est pas dans la langue de chez nous. Puis, derrière un rideau de feuilles qui virevoltent, des dindons sauvages et un chevreuil, bien vivants ceux-là, viennent m’accueillir. Je suis bel et bien dans l’antre de l’artiste, celui qu’il a construit de ses propres mains.

Pour autant que Jean-Yves se souvienne, il a toujours été incité à la débrouillardise. Son père était à la fois propriétaire d’un moulin à scie et mécanicien d’ajustage ce qui fait en sorte que fiston était constamment appelé à souder, tailler, percer, le bois, le métal et ainsi soit-il. Notre personnage a, pour ainsi dire, été moulé dans un chaudron que son paternel avait forgé pour lui. Comme il dessinait beaucoup, sa voie d’innovateur était déjà tracée. Manuellement parlant, il partait avec une longueur d’avance sur ses pairs.

LÉGENDE : LE PHARE – 2015

Matériaux; Acier inoxydable et éclairage solaire intégré

Dimensions; 24 pieds hauteur (732 cm) 4 pieds (122 cm) x 4 pieds (122 cm)

Note; Crée lors du 2e Symposium Le Marcheur d’Étoiles, Ville de Lac. Installée sur le quai de la marina, Ville de Lac-Mégantic.

 

Pour notre gaillard, la sculpture est une façon d’exprimer ce qu’il ressent. « C’est ma façon de penser avec de l’art », nous dira-t-il.

Dans le domaine qu’il a choisi, il est cependant très difficile de percer. Les subventions sont la plupart du temps distribuées aux noms connus. Notre créatif a donc exposé à gauche et à droite avant que des ouvertures sur l’international se présentent à lui. Au début des années ’90, il fut invité pour participer à des symposiums en France et au Mexique. Puis, à sa retraite de l’enseignement, il a été très actif, exposant de façon régulière au Québec. On a pu le voir à Nature et Créations, au vignoble Côte d’Ardoise de Dunham, au jardin Moore de Mascouche, au vignoble Côte de Vaudreuil, dans plusieurs symposiums dont Lac Mégantic, Boisbriand, Beauce Art, l’international de la Sculpture à Saint-Georges de Beauce ainsi qu’à titre de sculpteur en résidence à Rosemère et Longueuil.

« J’ai gagné ma vie dans le secteur de l’éducation au secondaire, mais principalement en milieu universitaire. J’ai enseigné les arts plastiques durant 24 ans à l’UQAM et j’ai touché à tout : pierre, bois, métal, résine, plastique, fibre de verre, etc.

Selon notre interviewé, un bon sculpteur est quelqu’un qui peut rendre ce qu’il veut exprimer et faire en sorte que les gens comprennent son message. « Un artiste doit être en mesure de respecter le public et de se respecter lui-même pour donner le maximum de ce qu’il a offrir » nous dira Jean-Yves. Il sait apprécier le travail de ses pairs qui besognent de façon professionnelle et qui conçoivent des arrangements équilibrés dont la finition est soignée, quels que soient les constituants utilisés.

Le titre de ses compositions est important pour Jean-Yves, car Il explique ce qui l’a inspiré, ce qu’il a voulu montrer. À ses yeux, une œuvre sans appellation n’exprime pas ce qu’elle veut nous dire.

« Je commence par un dessin. C’est aussi comme ça que j’ai débuté, enfant, à m’exprimer. Ma première étape est de réaliser une maquette que je reproduis ensuite à l’échelle en format monumental. Je fournis les dimensions à un programmeur qui les transfère dans un logiciel que les machines de perçage et de pliage de grands formats sont en mesure de lire. Cela demande une grande précision. »

« Ayant commencé en bas âge à manipuler toutes sortes de matériaux, j’ai beaucoup d’expérience dans l’assemblage. Quand j’étais étudiant aux Beaux-Arts, je montrais d’ailleurs au prof les diverses techniques de soudure et c’est moi qui les réalisait pour lui. Je sais comment usiner des pièces, intégrer des composantes non conventionnelles et mon bagage technique me permet de me démarquer. Il y a une connaissance en ingénierie dans tout ce que je construis. Mon style se reconnaît facilement : les formes sont allongées, ressemblant souvent à des prismes qui s’élancent vers le ciel. Mes éléments habituels sont l’acier inoxydable, le cuivre, le corten, le lexan, le plexiglas et le laiton et j’utilise parfois jusqu’à 800 écrous pour boulonner le tout. J’intègre dans certaines d’entre elles de petits panneaux solaires dans le but de les éclairer. La sculpture se défend bien de jour comme de nuit sous des jeux de lumières, de transparence et de reflets différents. Je transporte tout dans mon camion et j’assemble sur place. Par mesure de sécurité, une fois montés, les modules forment un tout indissociable ne pouvant plus être démontés. Très peu de sculpteurs utilisent les techniques que j’emploie ».

Parmi les œuvres que je considère les plus importantes dans ma carrière, soit parce qu’elles représentaient un défi à surmonter ou parce qu’elles ont rayonné à l’international, je dois mentionner « L’échange » à Savigny-le-Temple, en France. Il y a également « Au nom du père et du fils » installé au centre d’architecture de Mexico. J’affectionne particulièrement aussi « Le phare » aménagé dans la ville de Lac Mégantic.

Jean-Yves Côté vient de terminer une exposition collective à la galerie Rod de Saint-Sauveur qui conserve en permanence quelques-unes de ses pièces. Découvrir sa production c’est entrer en contact avec un type qui connaît toutes les facettes de l’art et qui a touché à tous les matériaux avant de devenir un véritable virtuose de la sculpture.

 

LÉGENDE : LES ŒUFS – 2016

Matériaux; Métal, corten, bandes en laiton, avec éclairage intégré. Ajout de graminées.

Dimensions; 1 de 6 pieds (183 cm) circonférence, 2 de 5 pieds (152cm), 1 de 4 pieds (122 cm), et 2 de 3 pieds (92 cm)

Note; Dans le cadre du réaménagement du Parc Pelletier, Ville de Granby, la ville a lancé un appel de soumissions d’offre pour des œuvres sous le thème des oiseaux. Sélectionné pour deux projets, dont celui des œufs. Installation Parc Pelletier, Ville de Granby.

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